Dans un monde du travail en constante accélération, où les frontières entre productivité, engagement et santé mentale s’estompent, le temps devient un enjeu stratégique. Et si le DRH était en train de devenir un nouveau Chief Time Officer ? C’est autour de cette idée que s’est construit un panel aussi riche que concret lors du HR Evolution Summit 2025, modéré par Aurélien Konan.
Ce panel a réuni Agnès Parmentier (Chief Human Resources Officer chez UNITED CAPS), Yasmine Zarrab (HR Manager chez Cap4Lab), Dominique Perilleux (Chief Product Owner & HR Director chez FundsDLT), et Gérard Sinnes (CEO de VISTIM). Ensemble, ils ont posé une équation essentielle : comment gérer le temps sans sacrifier l’humain — et, mieux encore, comment le transformer en levier de performance collective et de cohérence culturelle.
La fin du "temps subi" : redonner du sens à chaque minute
« Le DRH ne doit pas gérer les agendas, mais rendre le temps utile », a posé Dominique Perilleux en ouverture. Chez FundsDLT, société tech en forte croissance, cela signifie prioriser les actions, supprimer les frictions et instaurer des rituels collectifs structurants. L’enjeu est clair : créer un système vertueux qui aligne le temps disponible avec la valeur produite.
Une vision partagée par Gérard Sinnes, qui rappelle : « Ce qui compte, ce n’est pas tant la flexibilité ou les horaires, mais le sens que l’on donne au temps passé dans l’organisation. »
Le rôle du DRH consiste alors à structurer un cadre clair, dans lequel les attentes des collaborateurs s’inscrivent dans une promesse d’entreprise lisible et crédible.
Concrètement, cela implique de mettre en place des outils de priorisation, de réguler la charge cognitive, et de valoriser les temps de respiration comme de véritables leviers de performance. Ces pratiques favorisent une culture du temps choisi, où l’équilibre personnel devient un facteur de performance durable.
Croissance rapide, pluralité des temporalités : orchestrer sans s’épuiser
Passer de 5 à 250 collaborateurs en six ans oblige à revoir profondément les rythmes de l’entreprise. Chez Cap4Lab, Yasmine Zarrab identifie trois temporalités clés à articuler : la temporalité business, la temporalité humaine, et la temporalité digitale.
« Pour faire face à cette accélération, nous avons pris un pari contre-intuitif : adopter une stratégie RH de long terme », explique-t-elle. En s’appuyant sur la reconversion via l’ADEM, Cap4Lab a non seulement sécurisé ses recrutements, mais aussi bâti une culture d’apprentissage alignée avec ses enjeux d’évolution : « Investir dans les compétences, c’est reprendre la main sur notre temps. »
La société anticipe désormais ses besoins technologiques à 12 mois, et forme dès aujourd’hui les talents qui y répondront demain. Une logique d’“upskilling programmé” devenue incontournable dans un secteur IT où les outils évoluent plus vite que les organigrammes.
Le DRH comme chef d’orchestre du tempo collectif
Le mot « rythme » est revenu à de nombreuses reprises. Dans des organisations hybrides, multisites, fragmentées, le DRH devient chef d’orchestre du tempo collectif.
Pour Agnès Parmentier, récemment arrivée chez United Caps, l’enjeu initial est de comprendre les silos historiques d’un groupe industriel réparti sur 10 sites, afin de faire émerger une culture commune.
Sa priorité : créer une “one team RH”, engager un dialogue direct avec le terrain, écouter, construire et aligner. « Le temps RH, c’est d’abord du temps pris pour comprendre l’existant. »
Mais cette orchestration exige également de nouveaux outils de synchronisation : routines de pilotage partagées, clarification des rôles, et leaderships transverses pour soutenir la dynamique.
Ce travail touche autant à la culture qu’à la structure — c’est un chantier RH systémique.
Performance et bien-être : une synergie à structurer
« On a trop longtemps opposé performance et bien-être », tranche Dominique Perilleux. Pour lui, l’un alimente l’autre — à condition de construire un système robuste : vision partagée, outils cohérents, rituels collectifs.
Gérard Sinnes inverse même la logique : « Ce n’est pas le bien-être qui crée l’engagement, mais bien l’engagement qui génère le bien-être. »
Il plaide pour une refonte des priorités : redonner du sens, de la reconnaissance, des perspectives, plutôt que multiplier les initiatives "feel good" déconnectées du quotidien.
Mesurer l’engagement devient alors une démarche stratégique à part entière : baromètres réguliers, entretiens de développement, indicateurs de cohérence managériale. L’enjeu est de relier l’expérience vécue à la promesse RH, sans dissonance.
Management de proximité : un vecteur d’engagement… à structurer
Chez Cap4Lab, le management de proximité est un socle fondamental. Il s’est construit en parallèle de la croissance, avec des collaborateurs co-acteurs du projet et des managers formés sur le terrain.
Mais cette proximité n’est possible qu’avec une gouvernance lisible, un langage commun et des valeurs partagées — bien au-delà des outils technologiques.
Gérard Sinnes résume l’enjeu : « Il ne peut y avoir d’engagement durable sans un socle solide : sécurité psychologique, clarté des rôles, pratiques managériales cohérentes. »
Cela suppose de former les jeunes managers à l’écoute, à la régulation des attentes et à la gestion de l’incertitude. Le management de proximité ne se décrète pas, il se construit dans la durée.
EVP : promesse RH ou mirage marketing ?
Le panel s’est conclu sur une question volontairement provocatrice : l’Employee Value Proposition (EVP) est-elle encore un levier de fidélisation ?
Les intervenants y ont répondu oui, à condition qu’elle soit authentique, lisible et incarnée à tous les niveaux de l’organisation.
Pour Dominique Perilleux, l’EVP est une « cathédrale », un pilier stratégique de l’identité de l’entreprise.
Agnès Parmentier insiste sur la transparence : « Les collaborateurs doivent savoir dans quelle culture et avec quelles attentes ils s’engagent. »
Quant à Yasmine Zarrab, elle rappelle qu’une EVP ne se décrète pas — elle se vit. Elle doit répondre à des attentes croissantes en matière de sens, d’impact, de progression, et surtout d’alignement entre discours et réalité. Une EVP solide repose sur cinq dimensions clés : vision, leadership, développement des compétences, reconnaissance et conditions de travail responsables.
Elle devient à la fois outil de gouvernance, vecteur d’attractivité durable, et filtre de cohérence managériale.
Et maintenant ?
Ce panel a confirmé une conviction forte : le temps est un actif stratégique à part entière. Dans un monde complexe, volatil, et marqué par l’exigence de sens, il ne peut plus être simplement organisé, il doit être pensé comme un levier de performance, de régulation et de différenciation.
Les DRH deviennent de véritables architectes du temps organisationnel. Ce rôle impose une maîtrise fine des rythmes collectifs, une gestion cohérente des priorités managériales, et une capacité à synchroniser les temporalités individuelles avec les ambitions de l’entreprise. À l’heure où les tensions sur les talents redéfinissent les rapports au travail, proposer une expérience temporelle claire, fluide et porteuse de sens devient un avantage compétitif majeur.
Plus qu’un sujet RH, le temps devient un indicateur de maturité culturelle — et un révélateur du leadership de demain.