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Un monde sans enfants : chronique d’une révolution RH silencieuse

Rédigé par Humakina | 04/12/2024
La révolution démographique, longtemps une curiosité statistique, s’impose aujourd’hui comme une évidence. Et quelle évidence ! En France, les chiffres parlent d’eux-mêmes : une baisse de 6,6 % des naissances en 2023, 20 % de moins qu’en 2010, et un taux de fécondité qui glisse dangereusement sous les 1,6 enfant par femme. C'est mieux que 1,47 en Belgique, 1,33 en Suisse, voire 1,25 au Luxembourg. Nous restons encore loin des catastrophiques 0,55 enfants par femme en Corée du Sud mais ne soyons pas dupes : la pente est glissante, et elle s’accélère. D’autant plus que le taux (théorique) de renouvellement est généralement estimé à 2,1 enfants par femme..

Dans l’Union européenne, le constat est encore plus vertigineux : en 2023, seulement 3,665 millions de naissances. Pour mémoire, c’était 7 millions dans les années 60, soit une division par deux en quelques décennies. Et, cerise sur le gâteau, l’âge moyen des mères dépasse désormais les 30 ans. Plus surprenant encore, la part des naissances chez des femmes de plus de 40 ans est passée de 2,5 % à 6 % en dix ans. Un monde où les landaus se vident et où les poussettes pour animaux deviennent des best-sellers, comme en Corée du Sud. Là-bas, 57 % des poussettes vendues en 2023 étaient destinées à nos amis à quatre pattes. Les bébés, eux, doivent se contenter des 43 % restants.

 

Une révolution mondiale en marche

Ce déclin, autrefois cantonné aux pays développés, gagne maintenant les économies émergentes. En Colombie, le nombre de naissances a chuté de 22 % en seulement cinq ans. Au Mexique, le taux de fécondité est passé en dessous de celui des États-Unis, défiant toutes les prévisions. Même en Afrique, dernier bastion des taux de fécondité élevés, on commence à observer un repli.

Et les prévisions n’ont rien de rassurant : selon les derniers travaux, la population mondiale, qui devait autrefois dépasser les 10 milliards d’habitants, pourrait finalement plafonner autour de 9 milliards avant 2100. Certains experts estiment même que le déclin démographique pourrait commencer dès 2054, bien plus tôt qu’anticipé.

Pourquoi cette chute ?

Les raisons sont multiples et varient selon les régions. En Europe, le coût de la vie, l’accès difficile au logement et les incertitudes économiques jouent un rôle clé. Le rapport de l’OCDE rappelle que dans les pays développés, l’indicateur de fécondité est passé de 3,3 enfants par femme en 1960 à seulement 1,5 en 2022. Les politiques natalistes, généreuses mais inefficaces, n’ont guère inversé la tendance : primes à la naissance, congés parentaux allongés… rien n’y fait.

En Corée du Sud, championne toutes catégories de la dénatalité, le fossé entre les attentes professionnelles et la parentalité est abyssal. Avec un écart salarial homme-femme de 31,2 % (le plus élevé de l’OCDE), un marché du travail ultra-compétitif et un coût faramineux pour élever un enfant, on comprend mieux pourquoi le pays affiche un taux de fécondité record à la baisse. Là-bas, le nombre de naissances a chuté de 470 000 en 2010 à seulement 250 000 en 2021.

 

Des conséquences vertigineuses

Moins d’enfants, c’est moins d’écoles, moins de jouets vendus, moins de jeunes pour entrer sur le marché du travail. Les effets sont déjà visibles. En Italie et au Japon, des écoles ferment dans les zones rurales, tandis que les infrastructures pédiatriques sont reconverties pour accueillir des seniors. Les économies, elles, se grippent. L’OCDE avertit : une baisse de la population égale une baisse de la croissance, sauf si des gains de productivité spectaculaires (grâce à l’intelligence artificielle, par exemple) viennent compenser ce manque criant de main-d’œuvre. Et ce n’est pas tout. D’ici 2060, la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus par rapport à la population active doublera, passant de 30 pour 100 en 2020 à 59 pour 100. Une pression inédite sur les systèmes de santé et de retraite, déjà fragilisés.

 

Les entreprises face à la dénatalité

Pour les DRH, cette crise démographique est un défi sans précédent. Face à la dénatalité, certaines entreprises s’illustrent par des initiatives audacieuses pour soutenir leurs employés-parents et, pourquoi pas, encourager quelques berceaux supplémentaires. On voit fleurir des congés parentaux allongés, parfois bien au-delà des exigences légales, comme une main tendue à ceux qui hésitent à concilier travail et couches-culottes.D’autres innovent en proposant des horaires flexibles ou des solutions de télétravail, donnant ainsi aux parents le luxe d’être présents pour le premier sourire ou les premiers pas, sans sacrifier leur carrière. Et puis, il y a les crèches d’entreprise, ces havres où les tout-petits cohabitent avec les ambitions des grands, rappelant que la parentalité n’est pas une faiblesse, mais une richesse. Enfin, des ateliers et groupes de discussion dédiés à la parentalité s’ouvrent dans certaines entreprises, lieux de partage et d’entraide, où l’on apprend à jongler entre réunions et récitals de fin d’année. Ces gestes, parfois modestes, résonnent pourtant comme un engagement fort : celui de bâtir un monde du travail où faire des enfants ne rime plus avec compromis, mais avec équilibre.

Recruter, fidéliser, intégrer : ces tâches deviennent de véritables casse-têtes. Dans un marché où la main-d’œuvre se raréfie, attirer les jeunes talents puis sédentariser les familles implique de se réinventer. Cela passe par des politiques de flexibilité, des parcours de carrière personnalisés et un environnement de travail bienveillant. Mais ces efforts, bien qu'indispensables, ne suffiront pas à pallier les effets systémiques d’un déclin démographique global.

 

Les politiques publiques en question

Les gouvernements, eux aussi, multiplient les initiatives pour préserver leurs forces vives. En France, la récente réforme du calcul des allocations chômage pour les travailleurs frontaliers en est un exemple éloquent. Officiellement motivée par des impératifs budgétaires – l’Unédic espérant réduire un surcoût de 800 millions d’euros par an – cette mesure pourrait aussi être interprétée comme une tentative de freiner l’exode des talents vers des marchés voisins, comme le Luxembourg. En rendant le statut de frontalier moins attractif, la France cherche peut-être également chercher à retenir une main-d’œuvre précieuse sur son territoire.

Car dans la plupart des pays développés, les politiques visant à encourager la natalité – telles que les primes à la naissance, les congés parentaux prolongés ou les allocations familiales – ont rarement réussi à inverser la tendance du déclin de la natalité de manière durable. Cela a été observé en France, en Scandinavie, et plus récemment… en Chine. Historiquement marquée par la politique de l’enfant unique instaurée en 1979,  la Chine a autorisé deux enfants par couple en 2016, puis trois en 2021. Mais là aussi, c’est un échec : les  préférences des ménages avaient déjà évolué, la culture, les coûts, la pression sociale… et les chiffres de 2022 - le taux de fécondité est tombé à 1,09 enfant par femme - ont matérialisé la diminution de la population totale, une première depuis 60 ans.

Toutefois, ces politiques nationales ne suffiront donc pas à combler le déficit structurel de talents. Le recours accru à l’intelligence artificielle et à l’immigration, bien qu’éminemment sensibles, apparaissent comme des solutions incontournables. Et pour compenser la pénurie de compétences, les entreprises devront miser sur la formation continue, l’accompagnement des transitions professionnelles et l’intégration de populations sous-représentées sur le marché du travail. Autant de chantiers complexes, mais cruciaux, pour faire face à cette révolution démographique sans précédent. Imaginer devoir mener de front des bouleversements technologiques immédiats, une compétition qui s'intensifie sur les talents, et des chocs de culture… avec la visibilité d’un monde par ailleurs de plus en plus instable au niveau géopolitique.

 

Le rôle des DRH dans une ère de transformation démographique

L'avenir nous le dira. Mais une chose est sûre : la révolution démographique est déjà là, et elle façonnera le XXIe siècle aussi profondément que le réchauffement climatique. Reste à savoir si nous saurons en tirer parti, ou si nous serons les témoins impuissants d'un monde qui se rétrécit. La raréfaction de la main-d'œuvre oblige les directeurs des ressources humaines (DRH) à repenser leur rôle, avec une vision de plus en plus long terme. Ils deviennent des stratèges clés au sein des comités exécutifs, influençant de plus en plus la compétitivité, l'attractivité et la résilience de leur entreprise face aux mutations sociales et économiques. 

Attirer les talents est devenu une guerre ouverte. Les DRH construisent des marques employeurs fortes, valorisant flexibilité, éthique et opportunités de carrière. Ils doivent également s’ouvrir à la diversité, intégrant immigrés, seniors ou autres profils sous-représentés, tout en élargissant leurs sources de recrutement à l’international pour pallier le manque local de compétences. Une fois les talents recrutés, la fidélisation devient cruciale : bien-être, équilibre vie professionnelle-vie personnelle et reconnaissance sont autant de leviers indispensables pour retenir les collaborateurs. Autant de challenges vitaux analysés par Humakina, qui permet aux DRH de connaître leurs scores et classements en temps réels sur 30 critères : une boussole essentielle.

Dans un contexte où la population active vieillit, les DRH doivent également anticiper les défis de plus en plus tôt, et de plus en plus loin: adapter les conditions de travail, valoriser les seniors et planifier les départs à la retraite tout en garantissant la transmission des savoirs. Parallèlement, la montée en compétences des équipes s’impose. Les stratégies de reskilling et d’upskilling deviennent des priorités pour s’adapter à des environnements technologiques en constante évolution. Face à la baisse de la natalité, l’immigration est incontournable : les DRH jouent désormais un rôle clé pour surmonter les obstacles culturels et administratifs, tout en favorisant des politiques inclusives pour intégrer ces talents. Enfin, ils redéfinissent les modèles d’organisation en structurant le télétravail et les approches hybrides, répondant ainsi aux attentes des différentes générations. 

Loin d’être une contrainte, cette crise démographique représente une opportunité pour les DRH de devenir des leaders encore plus stratégiques, visionnaires, capables de façonner les organisations de demain dans un monde en mutation profonde. Peut-être est-ce aussi le moment de revoir les effectifs à la hausse dans les entreprises : les RH ne représentent en moyenne que 1,7% des salariés d’une entreprise... sans doute trop peu pour anticiper et maîtriser tous ces nouveaux enjeux.