La génération Z est déjà massivement présente dans les effectifs. L’Alpha frappe à la porte. Ces deux cohortes, façonnées par la crise climatique, les réseaux sociaux, l’accélération technologique et l’hyperconnexion, ne se contentent pas de reposer de nouvelles attentes : elles redessinent le paysage du travail. Loin des caricatures, leurs attentes – bien-être, recherche de sens, autonomie, transparence – traduisent un besoin plus profond : celui d’un contrat social renouvelé entre employeurs et collaborateurs.
Lors du HR Summit 2025, le panel animé par Gwladys Costant et Nicolas Hurlin a réuni Géraldine Hassler (Head of People & Culture, KPMG Luxembourg), Virginie Dal (Head of People Development, AG2R La Mondiale Epargne Patrimoniale) et Sandrine Pironnet (Coach RH et consultante, Arhis People Solutions). Ensemble, elles ont dessiné les contours d’une fonction RH qui doit se réinventer pour anticiper, gérer, et élever les nouvelles attentes sans renoncer à l’exigence organisationnelle.
Comprendre les générations Z et Alpha : rupture culturelle ou mutation sociétale ?
Chez KPMG, la génération Z représente déjà près d’un quart des effectifs. Et la génération Alpha arrive via les premières cohortes de jobs étudiant. Pour Géraldine Hassler, ces générations challengent actuellement la position du travail dans leur vie et recherchent chez leur futur employeur une Employee Value Proposition qui soit plus alignée à leurs attentes et à la société d’aujourd’hui. Leur vision du travail est fondamentalement différente, influencée par la technologie, l'accès instantané à l'information, mais aussi par une culture de la personnalisation.
« Chaque génération se construit aussi en réaction au monde qu’elle hérite. Les Alpha sont des natifs de l’IA et portent d’avantage une importance à la transparence et à l’instantanéité de l’information. Une forte culture du feedback et une recherche de sens au travail est un point clé pour eux. »
Le rapport à la hiérarchie et à la carrière linéaire est redéfini. Cette réalité oblige les RH à adopter des logiques adaptatives et à renouveler leurs grilles d'analyse de l'engagement et de la rétention. Les jeunes talents n’attendent plus uniquement une promesse d’évolution, mais une réelle preuve de flexibilité, d’alignement de valeurs et d’écoute continue. En Europe, selon une étude, 49 % des membres de la génération Z affirment que le bien-être mental est un critère prioritaire dans leur choix d’un employeur.
Repenser l’attractivité de talents : TikTok, design RH et contenus à impact
L’évocation du compte TikTok RH de KPMG a suscité la curiosité. Mais derrière l’anecdote, un véritable virage stratégique : être là où les talents sont. Adopter leurs codes. Abandonner les fiches de poste en texte brut pour des formats visuels, synthétiques, intuitifs. Le recrutement devient un exercice de narration authentique, où la forme compte autant que le fond.
Virginie Dal aborde ici un enjeu spécifique au secteur de l’assurance-vie, souvent méconnu des jeunes talents : « Contrairement au secteur bancaire, l’assurance-vie est peu présente dans leur quotidien. Elle est envisagée tardivement dans le parcours professionnel, d’où notre volonté de repenser notre image employeur autour de l’empowerment, du “vouloir” et du “pouvoir”. Il faut rendre notre marque vibrante. »
Virginie insiste aussi sur l'importance de la communication dans la forme et le fond : « C’est en communiquant sur nos initiatives internes, nos projets business et notre culture que l’on suscite la curiosité et l’intérêt. »
Pour attirer les talents Alpha, les entreprises doivent penser comme des marques B2C. Un recrutement pertinent commence par un branding fort et une expérience candidat engageante. Une étude LinkedIn de 2024 révélait que 78 % des jeunes talents abandonnent un processus de recrutement s’ils ne reçoivent aucun retour sous 10 jours.
Réenchanter l’assurance-vie pour les jeunes talents
Un défi supplémentaire s’impose dans certains secteurs comme celui de l’assurance-vie, encore peu connu des jeunes générations. Virginie Dal le souligne : « Contrairement à la banque, l’assurance-vie est peu présente dans leur quotidien. Elle n’est envisagée que plus tard dans une carrière. Il faut donc casser cette distance et réinventer notre attractivité. »
Chez La Mondiale Europartner, cette transformation passe par un repositionnement clair de la marque employeur autour de l’empowerment, avec les notions clés de “vouloir” et “pouvoir”. Il s’agit de projeter une image plus dynamique, responsabilisante, dans laquelle les jeunes talents peuvent se reconnaître.
L’objectif ? Faire de l’assurance-vie une option de carrière inspirante, où l’on peut innover, avoir de l’impact et construire une trajectoire professionnelle porteuse de sens.
« La communication, dans son fond comme dans sa forme, est au cœur de notre stratégie d’attractivité », poursuit Virginie Dal. « En mettant en lumière nos projets internes, digitaux, collectifs ou sociétaux, nous créons une dynamique qui attire — et pas seulement les jeunes. »
Quand l’onboarding des jeunes réinvente le pacte organisationnel
Pour Virignie Dal, investir dans l’onboarding de stagiaires est une approche vertueuse. Cela permet d'une part, à de jeunes talents, venant de tout horizon, de découvrir le secteur de l'assurance-vie, de créer leur réseau, et d’imaginer leur future carrière. D'autre part, pour la compagnie, de bénéficier de leur regard neuf et de comprendre leurs attentes tout en enrichissant les pratiques au sein des équipes.
« C’est une véritable opportunité de co-construction, où les stagiaires ne sont pas de simples exécutants, mais des acteurs à part entière de leur développement et du nôtre. Nous sommes convaincus de l’impact de ces jeunes ambassadeurs, partageant leur expérience positive autour d'eux. C'est aussi une opportunité unique de co-construire l'avenir de notre entreprise, en intégrant les perspectives des générations futures. »
Leadership intergénérationnel : vers un management augmenté par l’empathie
Le panel a longuement discuté de la tension entre les modèles hiérarchiques traditionnels et les aspirations à des formes de leadership plus horizontales. Chez KPMG, cela se traduit par une culture de change management à travers le lancement d’un programme élargi de "growth mindset" visant à repositionner le manager comme leader-coach.
Ce changement de paradigme implique de revoir les KPIs du leadership : à la place du contrôle, on valorise la capacité à inspirer, à créer la sécurité psychologique et à faire grandir les équipes.
« Le manager de demain ne sera pas celui qui impose, mais celui qui écoute, questionne, oriente. Ce n’est plus une posture de contrôle, mais d’alignement », explique Sandrine Pironnet.
« Les leaders d’aujourd’hui et de demain devront conjuguer maîtrise émotionnelle, courage managérial, et sens stratégique », souligne Géraldine Hassler. Le management de demain sera nécessairement fondé sur la confiance et la co-responsabilité. En parallèle, une enquête Gallup a mis en évidence que seulement 21 % des collaborateurs se disent “pleinement engagés” dans le monde, ce qui renforce le besoin de leadership plus humain.
Un management qui donne du sens et de l’empowerment au service de l’engagement
Selon Virginie, le manager continue à jouer un rôle essentiel dans la création d’un environnement de travail adapté aux attentes des nouvelles générations, à savoir un environnement fondé sur la confiance, la clarté, l’autonomie et l’échange et feedback transparent. C’est un guide pour équilibrer cadre et liberté.
Virginie appuie sur le besoin d’une communication transparente, définissant règles et attentes, afin de favoriser l'épanouissement et de renforcer le lien entre l'investissement personnel et la performance collective. « Un cadre clair est indispensable, même en contexte de flexibilité. Pour construire un pacte durable avec les jeunes, il est important de définir une direction et tout aussi important de leur offrir l'autonomie nécessaire pour expérimenter, s'investir et avoir un impact positif. »
Il est donc essentiel de redonner du sens au travail, de garantir la réciprocité et de cultiver la responsabilité partagée. « Notre équipe RH se veut être une équipe de proximité. Nous collaborons étroitement avec notre management team pour anticiper avec eux l'évolution du rôle de manager, favoriser les synergies et garantir une communication fluide des enjeux de notre compagnie qui sont des éléments clés pour les jeunes talents. »
Management de proximité : bâtir des repères dans un monde désintermédié
Plus qu’une simple proximité physique, il s’agit de restaurer un espace de confiance, de clarté et de feedback. Le manager doit être capable d’articuler cadre et liberté, autonomie et responsabilité.
Virginie Dal insiste sur la nécessité d’expliquer les règles, les attendus, et les liens entre actions individuelles et performance collective. « Flexibilité ne signifie pas absence de cadre. Ce que les jeunes attendent, c’est qu’on leur explique pourquoi les règles existent et quel impact elles ont ».
Il s’agit de redonner du sens au cadre, de réintroduire la réciprocité dans la relation hiérarchique et de créer une culture de responsabilité partagée. Pour les managers, cela demande une posture exigeante, capable de poser des règles tout en cultivant la proximité, le feedback, et la pédagogie du pourquoi.
Créer les conditions d'une culture de responsabilité
Ce que la génération Alpha attend n’est pas l’abandon du cadre, mais sa clarification. Non pas l’abolition du management, mais sa transformation en leadership sincère, humain et adaptatif. L’enjeu est double : maintenir l’engagement sur le long terme et favoriser une expérience salariée épanouissante. Cela suppose aussi de réintroduire le droit à l’erreur, de promouvoir la culture du test & learn, et de renforcer l’esprit critique dans un environnement déjà surinformé. Le développement de la résilience, de l’autonomie intellectuelle et de la responsabilité collective devient un socle à renforcer dès aujourd’hui.
« L’enjeu, ce n’est pas seulement de gérer les générations, c’est d’enrichir nos pratiques de leurs apports respectifs », résume Sandrine Pironnet.
Une coopération intergénérationnelle à orchestrer
Ce que ce panel a permis de mettre en évidence, c’est que les entreprises ont un clair enjeu de passer d’une posture adaptative à une posture architecturale. Il ne s’agit plus simplement de répondre aux attentes, mais de refonder les conditions du vivre-ensemble professionnel : culture de l’apprentissage, leadership distribué, alignement stratégique des valeurs.
« Une entreprise inclusive « intergénérationnellement » est celle qui reconnaît la valeur de l’ancienneté sans ignorer la fraîcheur de la nouveauté », conclut Sandrine Pironnet.
Les RH sont les chefs d’orchestre de cette symphonie intergénérationnelle. Elles doivent allier vision, pragmatisme, capacité à outiller les managers, à activer les collectifs, et à déployer une culture commune fondée sur la responsabilisation, l’ouverture et l’exigence partagée. La fonction RH se positionne plus que jamais comme le trait d’union stratégique entre les générations, entre l’héritage organisationnel et les exigences du futur.